Droit pénal, justice et médias
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Le contexte de recherche
Depuis quelques années, le recours massif aux médias entendus comme tout procédé permettant la distribution, la diffusion ou la communication d'œuvres, de documents, ou de messages sonores ou audiovisuels (presse, cinéma, affiche, radiodiffusion, télédiffusion, vidéographie, télédistribution, télématique, télécommunication) par la population générale notamment via internet (v. les moyens de communication électronique et des réseaux sociaux) mais aussi l’importante médiatisation des affaires judiciaires via les médias plus classiques - la presse, la télévision, la radio – conduisent à donner un écho sans précédent à la dénonciation de faits de nature pénale.
L’émission d’Elise Lucet sur l’affaire Nicolas Hulot est sans doute emblématique des interrogations que le pénaliste peut avoir au sujet de la difficile conciliation entre la liberté de la presse et le respect du travail du journaliste d’un côté, les impératifs de la justice notamment de la recherche de la preuve et du respect de la présomption d’innocences d’un autre côté.
Ces révélations ont des avantages. Elles permettent de prendre connaissance de faits qui, à défaut, seraient restés ignorés des autorités judiciaires.
Toutefois, elles font une place sans précédent aux potentielles victimes ce qui peut conduire à s’interroger sur leur besoin de justice et l’écoute qui leur est réservée par les autorités policières et judiciaires.
Ces situations conduisent aussi à s’interroger sur ce qu’il reste du principe pour tant cardinal de la procédure pénale qu’est la présomption d’innocence. N’est-il pas réduit à une peau de chagrin à chaque fois que l’on déplace le débat de la sphère judiciaire vers la sphère médiatique ?
Les différents champs de recherche
Le champ de la procédure pénale
On peut penser à un volet sémantique. Si la loi pénale comme la justice pénale usent volontiers des termes de personne présumée innocente, il n’est pas rare d’entendre parler de "présumé coupable" mais aussi, bien plus souvent encore, de « victime » alors que les faits ont été simplement portés à la connaissance des autorités ou simplement révélés dans la presse. Ne peut-on pas voir dans ces choix de vocabulaires diverses formes d’atteintes à la présomption d’innocence ?
On pensera aussi à un volet judiciaire sur la nécessaire évolution de la place et la communication des acteurs de la justice spécialement du procureur de la République…
Le champ de droit pénal de fond
Cette thématique pourrait permettre de mener une recherche de droit pénal spécial par exemple en s’interrogeant sur l’effectivité des incriminations traditionnelles du droit de la presse.
Ces incriminations sont-elles toujours adaptées à notre société, par exemple au développement des discours qui prônent, encouragent, promeuvent ou justifient la haine, la violence ou la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes pour diverses raisons. Ces discours de haine, notamment sur internet, qui menacent gravement la cohésion de la société démocratique, la protection des droits de l’homme et l’État de droit sont ou peuvent être par eux même constitutifs d’une infraction pénale mais aussi être à l’origine d’actes de violence à plus grande échelle. Le discours de haine alimente en effet souvent les faits de violence.
Face à ces phénomènes, le droit pénal a-t-il sa place ? et quelle place doit-il être fait au droit pénal ?
On pourrait mettre également en évidence à côté des limites pénales de la liberté d'expression, les limites que cette dernière impose au droit pénal (la justification des infractions).
Le champ pénitentiaire
On pourrait aussi s’intéresser à la place et à l’accès aux médias dans les établissements pénitentiaires. La France à l’inverse d’autres pays est réticente à créer un accès internet dans les établissements mais est-ce toujours adapté ? L’information se fait par la télévision mais les émissions en boucle ne sont-elles pas créatrices de tensions ?
La crise covid a été révélatrice de difficultés à cet égard (voir la recherche sur le covid et la prison). La réflexion pourrait donc être prolongée.
Le champ de la criminologie
La recherche pourrait enfin intégrer une dimension pratique par l’étude de cas concrets d’atteintes à la présomption d’innocence afin de dresser des typologies fondées sur des études de cas et ainsi intégrer une approche plus criminologique du phénomène.
Le champ philosophique et littéraire
On pensera à la représentation de la justice et de ses acteurs dans les médias. Cela permettrait d'intégrer certains travaux en droit et littérature selon la définition que l'on retient de médias.
Les actions de valorisation
L'Institut a inauguré, à la rentrée 2023, un cycle de conférences à destination de tous consacré à l’incidence des médias sur le droit pénal et la justice.
Ce cycle "Vérité, justice et médias" comprend une série de conférences du soir qui sont l’occasion de croiser les regards du chercheur en droit pénal, d’un praticien issu du monde judiciaire (magistrat ou avocat) et d’un spécialiste de la communication (journaliste, éditeur…) :
- 5 octobre 2023 : #metoo #balancetonporc : dénonciation médiatique et vérité dans le procès
Responsables scientifiques : Flore Dolou et Anouk Jego, doctorantes
(Ré)Ecoutez les podcasts de l'afterwork - 14 novembre 2023 : La communication judiciaire : comment parler des affaires pénales en cours dans les médias ?
Responsable scientifique : Aurélie Bergeaud-Wetterwald, Professeur - 8 mars 2024 : La liberté d'expression des lanceurs d'alerte : entre respect des droits d'autrui et procédure-baillons / Responsable scientifique : Jean-Christophe Saint-Pau, Professeur
- 26 mars : Justice médiatique vs justice pénale : le traitement médiatique des affaires judiciaires / Responsable scientifique : Thomas Herran, Maître de conférences
- 26 juin : Destruction d'archives publiques et obstacle à la vérité / Responsable scientifique : Evelyne Bonis, Professeur
Programme du cycle de conférences Vérité, justice et médias
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Autre action de valorisation en lien avec la thématique : Discours de haine et droit pénal
Au cœur de la confrontation entre la liberté d'expression et la lutte contre le racisme, la xénophobie et toute forme de discrimination, le discours de haine, entendu comme "tout type d'expression qui incite à, promeut, diffuse ou justifie la violence, la haine ou la discrimination à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes, ou qui les dénigre, en raison de leurs caractéristiques personnelles ou de leur statut réels ou attribués telles que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité, l'origine nationale ou ethnique, l'âge, le handicap, le sexe, l'identité de genre et l'orientation sexuelle" intéresse tout particulièrement le droit pénal qui ne peut laisser les comportements attentatoires à la dignité et à l'égalité des hommes impunis mais doit respecter la liberté d'expression.
En septembre 2023, l'Institut a organisé un colloque "Discours de haine et droit pénal", sous la direction scientifique de Valérie Malabat, avec les interventions suivantes :
- Droit et littérature de haine : exercice de conjugaison / Nicolas Bareït, Maître de conférences à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour,
- La question de la place du droit pénal pour la sanction des discours de haine /Thomas Hochmann, Professeur à l'Université Paris Nanterre,
- Quelles qualifications pénales pour sanctionner les discours de haine ? / Valérie Malabat, Professeur à l'Université de Bordeaux,
- Quelle exonération à la responsabilité pénale pour les discours de haine ? / Maxime Brenaut, Professeur à l'Université de Bordeaux,
- La sanction pénale des discours de haine : quelles difficultés répressives ? / Pierre-François Laslier, Doctorant ATER à l'Université de Bordeaux,
- Les discours de haine en droit européen / Chjara Buchard, Doctorante à l'Université de Bordeaux,
- Les discours de haine en droit pénal international / Barbara Drevet, Maître de conférences à l'Université Clermont-Auvergne.
- Table ronde sur le discours de haine et les droits étrangers : le droit américain (Sarah-Marie Cabon), le droit allemand (Xavier Pin), le droit espagnol (Amane Gogorza), le droit anglais (Olivier Cahn), les droits dans les pays arabes (Farah Safi).
Toutes les contributions ont été publiées en ligne dans la Revue des droits et libertés fondamentaux.